Textes et musique

[écriture] Le sacrifice

Petit texte réalisé pour un défi sur un groupe Facebook. Le thème imposé était : le sacrifice. 

La lumière lui fit cligner des yeux, formant une grimace sur son visage creux. Son dos était courbaturé, mais elle n’avait pas de doute que ça passerait rapidement, dès qu’elle se serait levée de ce banc public et qu’elle aurait réchauffé ses muscles avec un peu de marche. Levant le bras gauche devant son visage, à la fois pour se protéger du soleil, mais aussi pour vérifier l’heure, elle constata avec satisfaction qu’elle n’avait pas perdu le sens du rythme. Seize heures tapantes. Elle inspira à fond, puis se redressa en position assise, s’étirant avec soin, faisant craquer son cou dans la foulée. La fille souffla, et se mit en route.

A l’autre bout de la ville, l’homme regardait sa montre avec une impatience non dissimulée. Un casque sur les oreilles, volume au maximum, il tentait d’ignorer les gémissements qui provenaient de la pièce à côté. Il monta encore un peu le son, et fredonna avec la musique, lorgnant à nouveau l’heure, pestant contre cette aiguille qui tournait bien trop lentement. Il tripotait machinalement le bord élimé de sa manche droite, les yeux regardant dans le vague. Hier, la femme lui avait dit qu’il était beau. Aujourd’hui, elle ne disait plus grand-chose, mais probablement qu’elle l’aurait trouvé laid. Il n’avait pas tellement changé pourtant, il avait juste effacé son expression avenante, et sa vraie nature avait refait surface. Sa nature de prédateur.

Elle sentit les cordes se resserrer à nouveau. Elle savait qu’elle ne devait pas tirer dessus, qu’à chaque traction elles s’enfonçaient un peu plus dans sa chair. Mais elle ne pouvait s’en empêcher. La peur, la douleur la faisaient continuer. Il faisait noir, elle s’en doutait malgré le bandeau sur ses yeux, car il y avait eu un peu de lumière, avant. Il faisait calme, alors elle avait crié, hurlé, de toutes ses forces. Ces traîtres l’avaient vite abandonnée et elle avait continué de gémir encore. Quelqu’un pourrait-il passer par là ? Par moments, elle entendait des bruits, alors elle essayait de donner de la voix. Mais en vérité, la femme n’avait aucune idée de l’origine de ces bruits : ami, ennemi ? Un animal qui passait ?

Quand la fille arriva au bout du sentier, elle transpirait abondamment. Elle ne manquait pourtant pas de forme physique, mais le paquetage qu’elle portait sur le dos était lourd, et le terrain broussailleux et rocailleux n’aidait pas. Elle s’arrêta au milieu de la clairière, et laissa choir son sac au sol, respirant à fond pour reprendre son souffle. La lumière déclinait mais la nuit n’arriverait pas avant deux bonnes heures, juste le temps nécessaire. Elle regarda autours d’elle. La femme avait arrêté de se débattre visiblement, elle était couchée, attachée, sur une table de pierre, décorée de symboles. L’homme était en train de tracer des cercles dans le sol à l’aide d’un bâton.

– Alain, dit-elle en se rapprochant de lui, tu as fait du bon travail mon chéri.

L’homme acquiesça, sans s’arrêter dans sa tâche.

– Si fait, du très bon travail. Les dieux vont enfin nous donner ce dont on a besoin, nous pourrons faire ce qu’il nous plaît. Une vie éternelle, tu te rends compte ? Tout ça en échange de quoi, cette jolie minette…

Elle éclata d’un rire sonore, qui en avait séduit plus d’un en son temps, et ses yeux étincelèrent.

– Nous y voilà, Alain chéri. Allons, sors le couteau.

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